Derrière Madgic qui se balance sur sa bouée, le ressac se fait entendre sur les rochers et sur la plage. A côté de lui, un monocoque est malmené. A terre, une agitation bien rodée se met en place : les professionnels de la baie commencent à bouger les bateaux et ranger leur matériel. L’alizé a tourné au Sud-Ouest, annonciateur d’un Northern : ces coups de vent de nord descendant des Etats-Unis.
La petite vedette, fortement motorisée, du Port Authority vient prévenir les 2 bateaux visiteurs que, dans moins de 24 hrs, il ne fera plus bon être au mouillage sur la côte ouest de GeorgeTown.
Mais Madgic prévoyant a déjà fait sa clearance de sortie au centre-ville et va profiter de ce vent favorable pour descendre au sud. Le 4X4 des douanes est ponctuel et apporte au bout du ponton le fusil sous-marin confisqué à l’arrivée ….et les achats duty-free du matin en ville.
Au lever du jour, Madgic quittera Grand Cayman et ses îles dont l’origine du nom est incertaine.
Est-ce de gros lézards insulaires aperçus par les corsaires anglais ou de vrais crocodiles vus par les navigateurs français qui ont donné le nom à ces îles ? De nos jours, en tout cas , il doit être plus facile de trouver un Lacoste détaxé qu’un vrai cayman.
Grand Cayman n’est certainement pas le coup de cœur des navigateurs baroudeurs mais possèdent quelques atouts.
Les eaux transparentes et les fonds magnifiques invitent à mettre la tête sous l’eau ;
L’accueil des administratifs est convivial, tout comme celui des locaux ; les formalités sont gratuites et faciles ; l’avitaillement est « easy but a little bit expensive » ;le matériel nautique nécessaire peut être trouvé en cas de besoin et la sécurité n’est pas un problème .George Town est donc un arrêt à ne pas bouder sur cet axe Nord Sud d’autant plus que la bouée vous est offerte pour tout le séjour .
A regret, l’équipage n’aura pas fait halte, plus à l’est, sur les îles plus sauvages de Little Cayman et Cayman Brac.
Mais il est temps de prendre le large : l’arrivée du clapot de nord donne le signal du départ.
Jour1 :
Madgic passe déjà sous voile la pointe sud de l’île derrière laquelle les bateaux locaux se sont réfugiés. Les paquebots de croisière ont aussi choisi Spotts bay pour débarquer leurs passagers.
Poussé vers le Sud par un vent favorable et une mer clémente, Madgic semble ne pas être au courant de sa prochaine destination. Hésitant entre un détour vers la Jamaïque ou un retour au Guatemala, les bords de vent arrière se succèdent.
Mais Madgic sait qu’il doit passer bien à l’est des côtes honduriennes et de Gorda Bank. Le plan Vigipirate du capitaine consiste à passer entre les atolls plus ou moins engloutis : Rosalinda Bank , Serranilla Bank, Quita Sueno Bank et Serrana Bank .Ils appartiennent tous à la Colombie et lui confèrent un vaste espace maritime .Madgic n’hésite pas à réaliser ce grand détour pour éviter les vrais pirates des Caraïbes qui n’ont aucun état d’âme à accoster les bateaux en pleine mer et à les dépouiller de tout (cfr Caribbean Security Index – Piracy and Port Safety – Noonsite.com)
Nuit 1 : Les organismes essaient de prendre le rythme des sommeils fractionnés. Dehors quelques sifflements soutenus rappellent qu’Eole peut monter le ton mais la météo reste rassurante.
Au changement de quart, les infos se transmettent entre un marin fatigué et s’endormant et un autre à peine reposé et ayant du mal à se réveiller .
Jour2 :
Le courant équatorial existe : Madgic l’a rencontré. Son opposition sous-estimée par les cartes de courant rend plus laborieuse sa progression. Madgic se démène pour avancer vers le but et s’éloigner de cette zone sensible. Mais , comme un jogger en salle , il n’est pas récompensé à la hauteur de ses efforts : le tapis roulant équatorial est peu coopérant et le ralentit considérablement (2 à 2,5 nds NNW contraires).
Le temps de traversée se voit d’un coup presque doublé quand le vent faiblit. L’inexactitude ne concerne plus l’heure d’arrivée mais le jour d’arrivée. A l’échelle de la cartographie de bord, la progression est lilliputienne. Le moral de l’équipage devient maussade à l’idée d’une probable 4ème nuit en mer imméritée.
Le soleil décline. Le capitaine déclare la pêche à la sargasse clôturée pour aujourd’hui. Que ces algues envahissantes aient retardé Christophe Colomb , qu’elles recouvrent les plages et baies des Antilles passent encore mais qu’elles arrachent les fils de pêche est un problème écologique sérieux à ne pas négliger .
Nuit 2 :
La nuit est noire. La lune a encore la tête dans les nuages. Enfin, ponctuel, un disque orange pâle perce les formes cotonneuses, monte dans le ciel et procure une aide précieuse pour cette nuit de veille sous haute surveillance. L’esprit ne peut néanmoins s’empêcher d’échafauder une mauvaise rencontre même si ce long et difficile détour rend la rencontre avec les pirates honduriens peu probable .
De temps en temps une vague perdue s’insinue entre les 2 coques, les heurtent sans délicatesse les faisant résonner bruyamment et perturbent la tranquillité de la glissade nocturne.
Jour 3 :
Dans la soute à voile avant, le gennaker s’impatiente : depuis plusieurs mois, il attend de se rendre utile .Fièrement, il sort sur le pont , monte(*)en tête de mât et se gonfle pour procurer à Madgic les quelques nœuds de vitesse qui rend la lutte plus égale.
(*) « se laisse monter » : Il ne faudrait quand même pas que la formule littéraire laisse croire aux lecteurs peu marinisés que tout se fait automatiquement de jour comme de nuit…
Nuit 3 :
Le courant finit par s’estomper. Une arrivée le lendemain en fin après midi et surtout avant la nuit semble possible. Les cliquetis des winches et la complainte des cordages en tension se font entendre lors des empannages.
Traversée Cayman - Providencia
Jour 4 :
Des contours montagneux, presque inhabituels, apparaissent à l’horizon et signalent à Madgic sa destination de plus en plus proche.
L’alarme Ais se déclenche :la Buya Cardinale Virgen North de l’île de Providencia s’affiche sur l’écran et signale la 2ème barrière de corail des Caraïbes, la troisième du monde.
Providencia , plus sauvage que sa sœur méridionale San Andres , est une île colombienne située à 800 km de la Colombie continentale , perdue au milieu de la mer des Caraïbes et plus proche des côtes nicaraguayennes.
L’île découvre progressivement son visage : les premiers traits viennent se confronter à l’image qu’ont façonné les lectures des guides ; l’enchantement surprend et vient s’ajouter au plaisir de l’ arrivée et de la découverte .
Madgic se faufile précautionneusement entre les bouées rouges et vertes du chenal bien balisé qui le guide jusqu’au mouillage de Santa Catalina. La baie aux pourtours verdoyants tropicaux et aux multiples sommets environnants est magnifique mais elle semble anormalement encombrée. Une quinzaine de voiliers sont au mouillage alors que Providencia n’en accueille que 200 par an .
L’ancre, contente-t-elle aussi d’être arrivée, se laisse glisser avec délice dans l’eau et va toucher le fond.
Pour l’équipage, les formalités d’entrée semblent être reportées au lendemain … après une nuit de repos.
PS :Contrairement à des idées malveillantes , le capitaine a fait ce détour pour éviter les pirates honduriens et non pas parce qu’il n’arrive pas à retenir la capitale du Honduras, bien connue de tous :Téglicigalpa (enfin un truc comme ça)
Arrivée à Santa Catalina - Providencia